ALFRED BOUGEAULT

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2-La russie (Le récit)

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LES ANNEES RUSSES



Pour l’homme intelligent et supérieur, pour le penseur et le philosophe, voyager, ce n’est pas seulement rechercher les sites, les beautés naturelles, les monuments et les œuvres d’art ; voyager, pour lui, c’est observer, étudier, réfléchir. Au plaisir de l’imagination, aux émotions de l’âme, il joint les charmes sévères d’une observation attentive, il cherche à approfondir les hommes et les choses. Son observation est une comparaison continue ; il en tire les éléments sérieux d’une instruction solide pour lui même, et, s’il est doué du talent d’écrivain, il s’empresse de la communiquer aux autres. ( Rapport sur « Autriche Hongrie »1879)



Dans sa lettre adressée au Président de la Société des naturalistes de Moscou en 1882 : « Ayant habité pendant treize années la Russie, ancien professeur au lycée impérial Alexandre et au corps du génie de Saint Petersbourg, j’ai pu apprécier le charme de l’hospitalité russe »



Alfred a 30 ans quand il arrive en Russie en 1847. Il se marie le 23 septembre de l’année suivante avec Marie Eglantine PASCAL ( 1830-1915) en l’église Sainte Catherine de Saint Petersbourg. Leur fils aîné Eugène naît en 1849, bientôt suivi de Marie en 1851, Geneviève en 1853 puis un peu plus tard Angèle en 1857.




Les premières années à Saint Petersbourg sont extrêmement productives puisqu’il publie :

En 1851, Principes de Composition et de Style, Suivis D´une Etude des Gernres de Littérature en Vers et en Prose, par Alfred Bougeault, Professeur de Litterature et D´Histoire, Paris 1851, Libraire de Firmin Didot, Paris, 298 pages Table des matières: Principes de composition et de style Chapitre I-II, Principes de rhétorique Chapitre III-VII, Etude des genres de littérature Chapitre I-XVII1 (volume in-12)

En 1852 Kriloff ou le La Fontaine russe, Sa vie et ses fables(in-12)Paris; Saint-Petersbourg : Garnier-frères;
chez les principaux libraires, 1852. - 107 p. ; 19 cm.

En 1853 Difficultés et finesses de la langue française (1volume in 8° St Petersbourg), un manuel destiné à l’apprentissage de la langue française pour les russes, ouvrage contenant un recueil de locutions vicieuses usitées en Russie avec trad. russe en regard.



Le Lycée impérial fut créé sous l'empereur Alexandre 1er. Etabli d'abord dans son palais de Tsarskoé-Selo, puis transféré à Saint Petersbourg. De cette école sont sortis les hommes les plus éminents de la Russie moderne, notamment le chancelier actuel de l'empire, prince Gortchakoff.

J'ai connu de très près cet établissement, qui partage avec l'université de Saint-Petersbourg et l'école de Droit, le privilège de donner l'instruction à cette jeunesse d'élite destinée à occuper les fonctions les plus importantes dans l'administration et le gouvernement. Il faut, pour y entrer, appartenir par sa famille à la noblesse du Tchinn, de la cinquième classe au moins, celle qui donne le titre d'excellence et le rang de général. On sait qu'en Russie, tout le personnel administratif est divisé en 14 classes: sorte de caste chinoise établie par Pierre-le-Grand, et qui enserre de ses réseaux le gouvernement tout entier. Chaque employé a l'ambition de monter les degrés du Tchinn; c'est un stimulant énergique pour l'ambition, et aussi un puissant moyen de subordination comme le servilisme administratif. C'est le triomphe de la bureaucratie.


Pour les russes, la connaissance des langues étrangères est une nécéssité. Ils sont avides d'instruction et de lecture. Leur littérature, jeune encore, ne leur fournit pas des aliments suffisants, il leur faut puiser chez les autres peuples; tous leurs regards sont tournés vers l'Europe. Tout Russe bien élevé possède au moins quatre langues, et de préférence la langue française, qu'il parle à peu près sans accent. Il n'est pas de peuple dont le développement intellectuel, politique et social présente aujourd'hui plus d'interêt que celui de la nation Russe. La Russie se développe et marche à grands pas vers ses destinées futures. Le tsar est le maitre, tout ce qu'il fait est pour le bien du peuple; le peuple s'incline et obéit. La noblesse n'est rien que par le souverain: Il en fait des chambellans, des administrateurs, des fonctionnaires. C'est dans la noblesse, surtout dans la petite noblesse, que résident les germes de mécontentement et d'opposition. La jeunesse des écoles épouse volontiers les idées libérales, et même socialistes de l'Europe. Elle lit beaucoup, et de préférence les ouvrages qui contiennent des théories avancées, incendiaires.


Moscou fait la guerre à Saint-Petersbourg. Les uns veulent que le pays se suffise à lui même, qu'il soit fidèle à ses idées, à ses moeurs, à ses traditions; les autres font peu de cas de l'élément national, ils veulent marcher de l'avant, se mettre à l'unisson de l'Europe, et rêvent des institutions nouvelles, des libertés dont le peuple ne sent pas le besoin.
L'Allemagne a fait un grand pas vers l'unité, au détriment de ses voisins; L'Italie s'est constituée en englobant tous les peuples de même langue; il n'est pas étonnant que la Russie tende à grouper autour d'elle tout ce qui est slave de langue et d'origine; les chrétiens, pour échapper au joug musulman, tournent volontiers leurs regards vers un puissant protecteur, capable d'assurer leur émancipation. En Europe comme en Asie, la Russie vise à un ascendant de prépondérance; rien ne peut désormais se faire sans elle: elle tient pour ainsi dire entre ses mains les clefs de l'avenir.

(A. BOUGEAULT Esquisse du mouvement intellectuel et social en Russie depuis un siècle, 1876)

Ils seront de retour en France en 1860 et s’installeront 19, rue Miromesnil à Paris.

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